18 février 2021

Jacques Bouillot, Président de l’ESB : « La formation, la pierre angulaire des enjeux de la filière ! »

Jacques Bouillot, Directeur Filière sèche & solutions bas carbone chez Eiffage Construction, vient d’être élu Président de l’Ecole Supérieure du Bois, école d’ingénieurs située à Nantes. A l’écoute des signaux faibles, expert du matériau bois et fortement engagé dans l’écoresponsabilité, il nous livre sa vision de la filière, de ses enjeux, de ses défis et du rôle de la formation. 

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Jacques Bouillot,
Directeur Filière sèche & solutions bas carbone
chez Eiffage Construction

Vous venez du monde de la construction et de l’industrie, pourquoi le choix de la présidence de ESB, qu’est-ce qui vous a amené à vous engager pour la filière bois et la formation ?

Je suis fils et petit- fils d’artisans menuisiers et le bois fait partie de mon ADN. Après un parcours « industriel » dans l’automobile puis la construction hors site pour les chantiers navals, j’ai pris en 2005, la direction de la filière sèche & bas carbone d’Eiffage Construction, un acteur incontournable de la construction bois. J’ai notamment contribué à positionner l’entreprise sur des projets tels que Jean Jouzel à La Rochelle, la Tour Hyperion à Bordeaux, la tour Sensations à Strasbourg ou le Village des athlètes, en vue des JO 2024. Si j’ai accepté cette année de prendre la Présidence de l’ESB, c’est parce que la formation est la pierre angulaire des enjeux de la filière. Ne pas transmettre, c’est se couper de l’avenir et cela ne facilite pas l’amélioration continue, ni même l’innovation. Mon élection est la preuve que l’Ecole est ouverte d’esprit et ne fait pas d’ostracisme sur les matériaux. Enfin, je suis Nantais d’origine et prendre la présidence de l’ESB est une fierté.

Vue extérieure ESB © ESB – Photo Hadrien Brunner.jpg


Quels sont les grands enjeux de la filière bois forêt ? 


Si la crise sanitaire va probablement bouleverser les services et la formation, elle impactera peu la trajectoire du bois qui est déjà engagée. Il s‘agit d’avoir une vision systémique et macroscopique sans oublier aucun maillon de la chaine. Il faut privilégier la vision à moyen et à long terme avec trois niveaux de réflexion.  Premier niveau, l’amont de la filière. L’enjeu pour la forêt est l’acceptabilité sociale de son exploitation. Les signaux faibles sont là et ils vont grandir. Avec le réchauffement climatique, des espèces, comme le hêtre, vont s’éteindre. Pour maintenir la biodiversité, tout en participant à l’évolution de la forêt, les acteurs de la filière ne peuvent pas se contenter d’exploiter la forêt, ils doivent envisager une exploitation concertée et transparente de la forêt tout en faisant preuve de pédagogie avec les parties prenantes, notamment le grand public. D’autre part, il va falloir prendre en compte la modification des flux à venir. Le bois s’échangeait jusqu’à présent au niveau européen et mondial. Pour limiter leurs émissions de carbone, les pays pourraient être tentés de se refermer sur eux-mêmes et de conserver leurs stocks pour leurs propres besoins. La tension pourrait s’accentuer et le Made in France devenir un enjeu fort de l’amont.


Qu’en est-il de la transformation du bois ? 


La première comme la seconde transformation font partie de mon deuxième niveau de réflexion. Et je distingue la transformation des résineux et celle des feuillus. Pour les résineux, la restructuration de la filière avec la montée en puissance de l’automatisation, la robotisation, la traçabilité … va se poursuivre et sa concentration s’accentuer. Pour les feuillus, la filière française doit se réapproprier les essences et faire le choix d’investissements massifs pour pouvoir les travailler et les exploiter en circuit court. Aujourd’hui les chênes du Limousin partent en Chine, et les Italiens auraient envie de travailler les hêtres du sud de la France et celui du nord de la France n’a pas de débouchés pour le moment dans le bâtiment en IDF. C’est dommage. Accompagner les investissements sur le feuillu est plus que jamais à l’ordre du jour. 
Mais le sujet de fond est le fonctionnement en flux tiré de la transformation. Le client demande et la chaine s’adapte. Le flux tiré est beaucoup plus exigeant que le flux poussé. Il nécessite une grande souplesse dans la production. Des acteurs de la menuiserie et de l’ameublement l’ont déjà adopté. Il s’agit là de proposer des « modèles » préconçus avec des options de personnalisation. 
Ce qui m’amène au niveau 3 de la réflexion : l’aval. Les acteurs de la filière gèrent surtout la complexité du B to B et n’ont ni le temps ni la culture pour écouter le client final de plus en plus exigeant. Le véritable levier des acteurs sera leur capacité d’empathie avec l’usager. Les sujets du feu, de l’acoustique, de la thermique, du carbone dans sa globalité mais aussi de la traçabilité et de l’origine doivent être appréhendés. L’enjeu, c’est bien le sur-mesure en série, rendu possible par la maitrise d’une chaine logistique organisée en flux tiré. La filière n’y échappera pas. La construction hors site peut être une solution pour pouvoir intégrer le client final dans la démarche. La filière bois est incontestablement bien positionnée pour être un acteur majeur de la construction hors site (en 2D enveloppe intégrée ou modulaire 3D) qui réduit les délais et ouvre à la personnalisation des produits.


Comment l’ESB va-t-elle contribuer à relever ces enjeux ?


L’Ecole travaille sur les 3 niveaux d’enjeux dont nous venons de parler et elle structure son approche dans la même veine : le bois et les matériaux biosourcés, l’industrie 4.0, la construction et l’habitat bas carbone. Côté formation initiale, nous allons faire monter en puissance le bachelor (bac + 3) qui correspond à un besoin des entreprises et une attente des étudiants. Pour les ingénieurs, nous allons renforcer leurs connaissances de l’industrie de la forêt et de la construction bas carbone. En complément des formations traditionnelles, nous avons créé en 2020 un Mastère spécialisé® : Composites biosourcés, innovation et écodesign. Son approche pluridisciplinaire attire des jeunes diplômés et des salariés issus de secteurs variés. La mixité qui en résulte est une force pour cette formation accréditée par la Conférence des Grandes Ecoles. Notre ambition est de continuer à développer d‘autres mastères spécialisés.  
Enfin, nous allons poursuivre la recherche appliquée autour des trois axes au sein de nos laboratoires scientifiques et d’ingénierie, LIMBHA et Bois HD. Elle permet au monde scientifique, aux étudiants et aux industriels de collaborer ensemble pour répondre aux enjeux évoqués précédemment dans un triptyque vertueux.

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Crédit photo ESB © ESB – Photo Hadrien Brunner // © ESB – Photo Philippe Cauneau